le bel ouvrage
Dans la vie, on ne choisit pas son ouvrage’. Elle garde les mots de sa grand-mère comme un talisman dont elle ne comprend pas bien le sens. Elle le découvrira bien assez tôt, pense-t-elle en grandissant. Elle traverse ses premières années entre cette grand-mère, discrète et tendre à sa façon, et la ferme.
Dans la vie, on ne choisit pas son ouvrage
Elle le découvrira bien assez tôt, pense-t-elle en grandissant. Elle traverse ses premières années entre cette grand-mère, discrète et tendre à sa façon, et la ferme.
Elle accompagne ses parents au champ ou à l’étable, apprend à monter sur un tracteur, à conduire une génisse, à faire sécher le foin. Elle court après les poules, joue avec le chien. L’été, elle observe les ombres des arbres de la cour s’allonger lentement au fil des heures. Au fur et à mesure qu’elle grandit, elle entre dans le rythme circulaire de la vie d’une ferme.
C’est une ferme d’élevage et de culture qui a connu, en tant d’années, des récoltes fastes et des périodes de disette, des temps cléments et des avis de tempête, des guerres, des crises agricoles et des périodes prospères. Les générations passent, le paysage de bocage se transforme, la famille transmet. Son père veut faire d’elle une coiffeuse, elle coupe si bien les cheveux ! Mais elle est attachée au Martinais. Elle aime les rivières, les chemins bordant les haies, les cerises à l’arrivée du printemps et le cassis en juillet. Elle aime aussi le travail à la ferme. Elle fait des études agricoles comme Jean-François, son mari, qu’elle rencontre toute jeune. Ensemble ils s’associent à son père pour faire vivre l’exploitation familiale. Cent-dix hectares et trois cents génisses, une grande ferme !
La règle des quotas laitiers bouscule l’activité, il faut penser différemment l’exploitation. Ils se tournent vers l’élevage de porcs et investissent dans de nouveaux bâtiments. Ils travaillent, travaillent, travaillent pour installer le nouveau cheptel tout en gardant un troupeau de génisses et des terres, pour une production céréalière. Au moment de la retraite du père, Christine et Jean-François ont acquis une solide expérience. Ils sont confiants. Ils s’engagent dans une nouvelle activité : une maternité au cœur de l’élevage porcin.
Elle accompagne les mises bas, mène les porcelets au sevrage, évite les maladies, les pertes de poids des petits. Elle observe, intervient quand une truie ne mange plus, quand un petit ne profite pas autant que les autres. Elle développe des nouvelles méthodes, évite la médication. L’élevage se transforme. Il devient éligible au label de production ‘sans antibiotique’ de la coopérative, un cahier des charges sanitaire strict qu’elle a d’instinct mis en œuvre. Une reconnaissance de son travail ! Elle travaille encore plus, embauche un salarié.
Elle veille à ce qu’ils reçoivent les valeurs de la famille. Travaillez, faites toujours du mieux que vous pouvez, ne ménagez pas votre peine ! Elle se souvient du talisman de sa grand-mère. Ils se consacrent à leurs devoirs, puis à leurs études, puis à leur métier. Aucun ne se destine à reprendre l’exploitation et pourtant, chaque lundi matin, jour de congé de leur fils, elle est heureuse de le voir arriver au champ pour aider son père ou à l’élevage, avec elle.
Le temps fait son œuvre, la terre apporte ses récoltes et l’élevage ses cochons. L’exploitation a trouvé un équilibre, malgré les aléas des cours de porcs. L’ouvrage dont parlait sa grand- mère est-il en train de s‘accomplir ? Elle l’espère. Elle lui a consacré tant de temps ! Un travail fait avec le même amour
qu’on porte à une personne. Une passion presque, qu’il pleuve ou qu’il vente, que les vents soient favorables ou hostiles !
Son corps fatigue, elle souffre du dos, une décharge électrique parcourt ses hanches, ses jambes. Comment poursuivre son travail, la quête de sa vie, si ses ressources physiques lui font défaut ? Il faut chercher d’autres méthodes, soigner les bêtes sans se faire mal, ne plus porter, ne plus se courber. Un jour, après le déjeuner, elle regarde le portrait de sa grand-mère posé sur la commode du salon. Elle la revoit debout devant ses fourneaux, son tablier ajusté à la taille, appliquée à préparer les galettes qu’elle distribue chaque vendredi à toute la famille. ‘Dans la vie, on ne choisit pas son ouvrage’. Elle revoit sa main verser la pâte onctueuse de sarrasin sur la poêle, entend le grésillement du beurre fondu puis de la galette qui prend corps, roussit. C’est elle, Christine, qui aujourd’hui poursuit cette tradition. Chaque vendredi elle prépare les mêmes galettes avec les mêmes gestes, passe d’une maison à l’autre pour partager, offrir, prendre des nouvelles. Ai-je choisi mon ouvrage ? se demande-t-elle.
se dit-elle. Elle se lève. Elle a la sensation de l’avoir accompli, ce destin qui lui a été donné. Elle a, avec son mari, travaillé la terre, conduit son élevage, fait grandir sa famille. Elle bravé les mauvaises années, s’est réjouie des bonnes récoltes, des cours favorables. Elle a attendu des enfants, les a élevés. L’ouvrage des femmes de sa famille, depuis des générations, est accompli.
Le soleil illumine la prairie après la pluie. Un vert ardent s’étend sur la campagne, une lumière blanche enveloppe le ciel. Elle a soudain la sensation d’être légère, vibrante et libre. Elle avance dans la cour et cherche le soleil pour chauffer son visage. Elle est portée par un bonheur inconnu, sans objet et sans cause. Ce soir, c’est décidé : elle ira chercher ses pinceaux, ses pigments, qu’elle n’a pas sorti depuis longtemps. Elle peindra un paysage de campagne. Elle le fera de façon presque abstraite, parce que c’est là, dans cet espace qui ne représente rien mais qui dit tout de ses émotions, qu’elle se sentira elle-même. Libre de choisir son ouvrage, maintenant •
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